L’Autorité de la concurrence a rendu mardi 15 décembre 2015 une décision infligeant une sanction d’un montant total de 672,3 millions d’euros à 20 entreprises ainsi qu’au syndicat professionnel TLF pour avoir participé à deux ententes dans le secteur de la messagerie. Geodis, filiale de la SNCF, est l’entreprise la plus sévèrement sanctionnée avec une amende de 196 millions d’euros.
Ces deux ententes ont été révélées à l’Autorité de la concurrence par deux demandes de clémence déposées par le groupe Deutsche Bahn (pour les agissements de sa filiale Schenker-Joyau devenue Schenker France), auxquelles sont venue s’ajouter celle formée peu après les opérations de visite et saisie menée le 30 septembre 2010 par l’entreprise Alloin (groupe Kühne+Nagel).
L’entente visée à titre principal consistait en des concertations répétées entre concurrents sur les hausses tarifaires annuelles sur la période 2004-2010. L’Autorité note à cet égard que les déclarations des deux demandeurs de clémence montrent qu’au cours de cette période « les entreprises du secteur de la messagerie et de la messagerie expresse ont échangé dans un cadre multilatéral [notamment à l’occasion des réunions de TLF] des informations commercialement sensibles relatives à leurs hausses tarifaires annuelles » (point 513). En pratique, les entreprises de messageries échangeaient des informations chaque année avant le début des négociations annuelles puis faisaient le point durant les négociations. Les entreprises adoptaient ensuite un comportement sur le marché en cohérence avec les informations échangées entre elles en annonçant à leurs clients des hausses de prix conformes à la hausse convenue entre elles. L’Autorité relève que de tels échanges d’information « étaient de nature à permettre une meilleure transparence du marché pour les entreprises participantes et également à favoriser une meilleure coordination des comportements avant et pendant la négociation » (point 755).
La seconde entente, de moindre importance, concernait la répercussion des variations du prix du gazole selon une méthode commune. Cette pratique est qualifiée de restriction par objet par l’Autorité de (point 700) qui prend néanmoins en compte, au stade de l’évaluation de la sanction, la concomitance des fortes hausses du prix du gazole avec les débats parlementaires et les interventions des pouvoirs publics en faveur d’une répercussion des variations du coût des carburants dans les contrats de transport qui a pu créer une « certain confusion dans l’esprit des professionnels » (point 1170). L’Autorité prend également en compte le fait que le dommage à l’économie a été limité par le fait qu’il est vraisemblable qu’en l’absence de toute pratique, la hausse des coûts entrainée par la hausse des prix du gazole aurait vraisemblablement été répercutée de manière significative aux clients des messagers (point 1189).
Au stade de la détermination du montant des sanctions, si l’Autorité considère les pratiques en cause présentent un caractère de gravité certain, elle prend néanmoins en compte les difficultés financières rencontrées par plusieurs parties pour s’acquitter de l’amende : des réductions allant de 78% pour TLF à 94,3% pour Ciblex France ont ainsi été accordées à 6 entreprises. Les pratiques en cause s’inscrivent en effet dans un contexte économique difficile spécifique au secteur de la messagerie qui est caractérisé par la présence de grands groupes nationaux ou internationaux (Geodis, Chronopost, Dachser ou encore FedEx et DHL) mais compte également une multitude de petites entreprises d’envergure régionale ou locale. L’Autorité de la concurrence relève ainsi que si le chiffre d’affaires en France du secteur de la messagerie classique et express est en progression constante (point 23), ce secteur se caractérise néanmoins par une rentabilité très faible, voire négative qui a conduit à de nombreuses faillites et restructurations, en particulier au cours de l’année 2008, marquée par la disparition de 11% des entreprises du secteur (point 24).
S’agissant de la première infraction, il est intéressant de noter que TLF, syndicat professionnel, est sanctionnée pour avoir pris une part active dans l’organisation et la mise en œuvre des pratiques reprochées et pour avoir incité les cartellistes à davantage de discrétion (point 1004). D’autre part, le demandeur de clémence de rang 1 (Deutsche Bahn) n’a pas obtenu l’immunité totale et s’est vu sanctionner à hauteur de 3 millions d’euros pour n’avoir pas respecté ses obligations de coopération totale avec l’Autorité de la concurrence (point 1338).
S’agissant de la seconde entente, les spécificités susmentionnées sont prises en compte et l’Autorité de la concurrence décide de s’écarter de la méthode habituelle de détermination des sanctions et lui préfère un mode de fixation forfaitaire (point 1191).
Enfin il est intéressant de noter que, outre les demandeurs de clémence, plusieurs autres parties ont bénéficié de réductions d’amende au titre de la procédure de non-contestation des griefs avec soumission d’engagements, dont Alloin qui a pu cumuler ladite réduction avec celle résultant de sa demande de clémence.
Le communiqué de presse et le texte intégral de la Décision sont respectivement disponibles ici et ici.