Dans une décision du 12 juillet 2021, l’Autorité de la concurrence française (l’« Autorité ») a infligé à Google (Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France) une amende de 500 millions d’euros pour non-respect de mesures conservatoires, Google ayant refusé de négocier de « bonne foi » et de convenir avec les éditeurs et agences de presse d’une rémunération financière au titre de l’affichage de leurs contenus protégés. L’Autorité a également imposé à Google de se mettre en conformité, dans un délai de 2 mois, avec lesdites mesures conservatoires imposées par l’Autorité dans une première décision en date du 9 avril 2020.
Dans cette décision, l’Autorité avait fait droit aux demandes de mesures conservatoires formulées par un très grand nombre d’éditeurs de presse organisés en syndicats et l’Agence France Presse qui reprochaient à Google d’abuser de sa position dominante sur le marché français de la presse en reprenant et affichant gratuitement leurs contenus protégés (courts extraits d’articles, photos, vidéos et liens) sur ses différents services de diffusion en ligne depuis septembre 2019. Les requérants faisaient valoir leur droit à une compensation financière équitable en contrepartie de l’utilisation par l’agrégateur de leurs contenus éditoriaux, protégés au titre du « droit voisin », concept défini par la directive européenne 2019/790 sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique, et transposé en droit français par la loi n° 2019-775 du 24 juillet 2019 (la « Loi ») visant notamment à organiser les conditions du partage équitable des revenus générés par les contenus.
L’Autorité avait alors motivé sa décision par trois moyens. Dans un premier temps, l’Autorité estimait que Google détenait bien une position dominante sur le marché français des services de recherche généraliste. Puis, afin de déterminer si Google était susceptible d’avoir pu abuser de cette position, l’Autorité avait relevé que Google avait choisi, peu avant l’entrée en vigueur de la Loi, de modifier son affichage afin de ne plus utiliser de contenus protégés et, ainsi, ne plus avoir à convenir d’une contribution financière. Un tel refus, s’apparentant, selon l’Autorité, à un contournement de la loi – puisque les pratiques visaient (indirectement) à contraindre les éditeurs de presse à renoncer à la rémunération de leur droit voisin sous la menace de les déréférencer, contrairement à l’objectif poursuivi par le législateur – pourrait donc être assimilé à un abus. Enfin, à la question de savoir si cet abus était constitutif d’une atteinte grave et immédiate au marché français de la presse – élément qui justifierait l’imposition de mesures conservatoires – l’Autorité répondait par l’affirmative en estimant que le comportement de Google, dans un contexte de crise du secteur de la presse, privait les éditeurs et agences de presse d’une ressource vitale (i.e., la visibilité fournie par Google)pour assurer la pérennité de leurs activités, et les plaçaient donc dans une situation encore plus défavorable que celle qui leur préexistait à l’entrée en vigueur de la Loi.
Afin de remédier urgemment à cette situation, l’Autorité prononça plusieurs mesures conservatoires à l’encontre de Google, en les encadrant dans un strict calendrier, consistant, notamment, en une obligation de négocier équitablement avec l’industrie de la presse, et une seconde de communiquer aux éditeurs français toutes les informations nécessaires pour assurer une évaluation transparente de la compensation financière.
Alors que cette décision de l’Autorité fut substantiellement confirmée par la Cour d’Appel de Paris le 8 octobre 2020, celle récemment adoptée, suite à une nouvelle saisine des éditeurs de presse, vient, tout d’abord, sanctionner le non-respect par Google de plusieurs des mesures conservatoires imposées en 2020, notamment le refus répété de négocier de bonne foi avec les éditeurs de presse, puis réimposer plusieurs mesures conservatoires sous (forte) astreinte.
Estimant, en premier lieu, que l’infraction commise par Google revêt un caractère d’une particulière gravité, compte tenu, notamment, de sa forte incidence sur la concurrence (y compris en raison de la puissance de Google pouvant, dès lors, avoir, à la fois, un effet incitatif sur d’autres plateformes reprenant des contenus protégés et un effet dissuasif sur le secteur de presse qui pourrait désormais devenir plus hésitant à l’idée de confier ses contenus protégés à de telles plateformes), l’Autorité a décidé d’imposer à Google une amende de 500 millions d’euros. Et, en second lieu, l’Autorité a imposé quatre nouvelles mesures conservatoires à Google, visant à forcer l’issue de négociations satisfaisantes avec les éditeurs dans un court délai de deux mois, et sous astreinte (900.000 euros par jour de retard). Enfin, l’Autorité rappelle expressément dans sa décision que Google reste tenue au respect des injonctions telles que validées par la Cour d’Appel de Paris dans son arrêt du 8 octobre 2020 jusqu’à la publication de la décision au fond de l’Autorité, dont l’instruction au fond est donc toujours en cours, y compris, semble-t-il quant à une possible situation de dépendance économique des éditeurs et agences de presse vis-à-vis de Google et à l’abus éventuel de cette situation par Google.
Cette décision vient une nouvelle fois souligner la pression de plus en plus forte exercée actuellement sur Google, et plus généralement les GAFAM, dans plusieurs pays du monde par différentes autorités, dont celles de concurrence (mais aussi fiscales et en charge de la protection des données personnelles), y compris aux USA où plusieurs enquêtes sont en cours. Sur le sujet précis des droits voisins, l’autorité de concurrence australienne a ainsi été sollicitée par le gouvernement afin de réfléchir au développement d’un Code de conduite contraignant destiné à régir les contrats conclus entre les plateformes digitales et les sociétés de presse, et prévoyant, notamment, une rémunération de ces derniers. Adopté en février dernier, ce code (« News media bargaining code ») a déjà eu un effet important sur le géant du numérique qui a déjà conclu des accords de rémunération avec plusieurs groupes de médias, alors que d’autres sont encore en cours de négociation.
La décision de l’Autorité de la concurrence est disponible ici, et son communiqué de presse ici.
Source : Autorité de la concurrence