Par un arrêt du 24 septembre 2014, la Cour d’appel de Paris (« Cour d’Appel ») (CA Paris, 24 septembre 2014, n° R 12/06864) a annulé un jugement du tribunal de commerce du Paris (« Tribunal ») du 16 mars 2012 (T. com. Paris, 16 mars 2012, RG n° 2011023307), qui enjoignait à l’Autorité de la concurrence (l’« Autorité ») de communiquer des pièces incluses dans son dossier, pourtant déjà détenues par la demanderesse qui entendait en faire état au soutien de ses prétentions. Cet arrêt est conforme à l’interprétation des dispositions relatives au pouvoir des juridictions de demander à l’Autorité de produire des pièces protégées par le secret de l’instruction, que la Cour d’Appel avait déjà adoptée dans l’affaire Ma liste de course (CA Paris, 20 novembre 2013, n° RG 12/05813).
Dans cette affaire, la société DKT International (« DKT »), se considérant victime de pratiques d’éviction, avait demandé au Tribunal dans le cadre d’un recours indemnitaire, d’enjoindre à l’Autorité de communiquer certaines pièces issues du dossier de l’instruction à laquelle ces pratiques avaient donné lieu devant l’Autorité (Aut. Conc, Décision n° 10-D-29 du 27 septembre 2010 relative à des pratiques mises en œuvre par les sociétés Eco-Emballages et Valorplast dans le secteur de la reprise et de la valorisation des déchets d’emballages ménagers plastiques). DKT avait elle-même été partie à cette instruction puisqu’elle avait déposé une plainte visant les sociétés Eco-Emballages et Valorplast devant l’Autorité, étant ainsi à l’origine de la saisine de cette dernière. L’Autorité avait clos son instruction en rendant obligatoire les engagements proposés par Eco-Emballages et Valorplastafin de remédier aux problématiques de concurrence qui avaient été identifiées, à titre préliminaire, par l’Autorité.
Faisant suite à la demande de DKT, le Tribunal avait enjoint à l’Autorité de lui communiquer les versions non-confidentielles de l’ensemble des documents issus du dossier de l’instruction visés par la demande de DKT.
Saisie par Eco-Emballages et Valorplast d’un recours pour excès de pouvoir contre l’injonction du Tribunal, la Cour d’Appel a annulé le jugement du Tribunal et débouté DKT de sa demande de communication par l’Autorité des pièces du dossier de l’instruction.
La Cour d’Appel a estimé que le Tribunal avait (i) excédé ses pouvoirs et que (ii) la demande de production de pièces par un tiers (i.e., l’Autorité) formée par DKT n’était nullement justifiée.
Si, aux termes de l’Article L. 463-6 du Code de commerce, les pièces du dossier de l’instruction de l’Autorité sont protégées par le secret de l’instruction, sous peine de sanctions pénales, depuis l’arrêt de la Cour de cassation Semavem (Cass., com., 19 janvier 2010, n° 08-19.761) la divulgation de ces pièces est justifiée si elle est nécessaire à l’exercice par une partie au procès civil de ses droits. Il ressort donc du pouvoir d’appréciation des juridictions du fond de décider si une violation du secret de l’instruction est nécessaire à l’exercice, par une des parties au procès civil, de ses droits.
En l’espèce, la Cour d’Appel n’a pas infirmé le jugement du Tribunal sur l’exercice de ce pouvoir d’appréciation mais pour avoir contraint l’Autorité à verser aux débats, sans aucun motif, des pièces couvertes par le secret de l’instruction. En effet, selon la Cour d’Appel, le Tribunal a excédé ses pouvoirs dès lors que toutes les pièces demandées étaient déjà détenues par DKT. Dans ces circonstances, la Cour d’Appel a décidé que les dispositions de l’article 138 du Code de procédure civile, qui permettent au cours d’une instance à une partie qui entend faire état d’une pièce détenue par un tiers, de demander au juge saisi de l’affaire d’ordonner la production de la pièce, ne sont pas applicables.
En effet, quand une partie détient déjà une pièce protégée par le secret de l’instruction, il lui revient à elle, et non aux services de l’Autorité, de supporter le risque de sanction pénale, auquel elle pourrait s’exposer en le produisant à mauvais escient en violation de l’article L. 463-6 précité.
L’interprétation de la Cour d’Appel est conforme aux dispositions de l’article L. 462-3
alinéa 2 du Code de commerce, qui dispose expressément que l’Autorité peut transmettre à toute juridiction qui lui demande tout élément qu’elle détient concernant les pratiques anticoncurrentielles concernées, à l’exception (i) des pièces élaborées ou recueillies au titre de la procédure de clémence, et (ii) des pièces déjà à disposition d’une partie à l’instance.
L’arrêt de la Cour d’Appel vient, dans la droite ligne de celui déjà rendu dans l’affaire Ma liste de course, utilement préciser le champ d’application de la jurisprudence Semavem, qui, malgré la formulation large de l’attendu de la Cour de cassation, concernait une demande d’accès faite par le défendeur à l’action. En effet, la Cour d’Appel affirme expressément ici qu’un demandeur peut également divulguer, dans le cadre de son recours indemnitaire, des pièces protégées par le secret de l’instruction dont il dispose déjà du fait de la procédure préalable devant l’Autorité ; la seule condition à une telle divulgation étant que celle-ci soit nécessaire à l’exercice de ses droits. Corrélativement, compte tenu de cette possibilité, le demandeur ne peut pas, tout comme le défendeur, demander à la juridiction saisie d’enjoindre à l’Autorité de produire ces pièces quand il les détient déjà.
Cet arrêt DKT de la Cour d’Appel vient apporter une clarification opportune sur cette question, aux enjeux pratiques considérables, de l’accès au dossier de l’Autorité dans le cadre des actions indemnitaires dites de follow-on. Il laisse, par contre, intact la question de l’accès pour les demandeurs aux documents détenus par l’Autorité suite à une demande de clémence qui, à ce jour, restent strictement protégés par l’article L. 462-3 alinéa 2 précité et le secret de l’instruction. Et, au vu des dernières informations disponibles publiquement, ce n’est pas la prochaine Directive du Conseil de l’Union européenne sur le private enforcement qui devrait ouvrir la porte à un tel accès. Si celui-ci faciliterait grandement les actions de
follow-on, la volonté de préserver le mécanisme dilatoire de la clémence semble devoir l’emporter pour quelques temps encore au moins.
Source : Cour d’appel de Paris